COUPABLE D’AGRESSION SEXUELLE, UN FRANCOPHONE AURA UN NOUVEAU PROCèS POUR AVOIR éTé JUGé EN ANGLAIS

Déclaré coupable d’agression sexuelle à l’issue d’un procès qui s’est déroulé en anglais, un francophone bilingue a obtenu l’annulation de sa condamnation, car ses droits linguistiques ont été violés, a déterminé la Cour suprême du Canada. Il devra subir un nouveau procès, cette fois-ci en français.

En 2020, Franck Tayo Tompouba a été condamné à 90 jours de prison et à trois ans de probation après avoir eu une relation sexuelle non consentie en 2017 à Kamloops avec une femme rencontrée sur Tinder.

Lors de son arrestation et au cours de son procès, le francophone originaire du Cameroun s’est exprimé « de façon fluide et logique » en anglais, écrit le juge en chef Richard Wagner. Ce n’est qu’au moment de porter sa condamnation en appel qu’il a allégué que ses droits linguistiques avaient été violés. M. Tayo Tompouba n’avait, en effet, jamais été avisé de son droit d’être jugé en français, une indication qu’exige le paragraphe 530 (3) du Code criminel.

« Le devoir repose d’abord et avant tout sur la Cour d’informer l’accusé » de son droit, explique François Larocque, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

Malgré ce « manquement » avoué, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté son appel, en 2022, jugeant que l’accusé avait « témoigné en anglais sans difficulté apparente ». Près de deux ans plus tard, le plus haut tribunal du pays lui a finalement donné raison, évoquant « une erreur de droit qui a causé un préjudice important à M. Tayo Tompouba ». « La condamnation est annulée et la tenue d’un nouveau procès en français est ordonnée », a écrit Me Wagner dans une décision publiée vendredi.

Décision « historique »

Cette décision est « assez spectaculaire », selon M. Larocque, puisque la Cour suprême « vient clarifier et apporter des précisions importantes pour toutes les cours pénales du pays ». « Il s’agit d’une grande décision de la Cour suprême du Canada qui vient réaffirmer la centralité des droits linguistiques dans notre ordre juridique », assure-t-il.

Le cabinet Juristes Power Law, qui a défendu l’accusé, a salué par voie de communiqué un « arrêt historique sur l’accès à la justice dans les deux langues officielles » qui « confirme l’importance du bilinguisme institutionnel dans le système judiciaire canadien ».

Avec cette décision, la Cour suprême affirme que les droits linguistiques ne sont « pas des droits ordinaires ou anodins, ce sont des droits de fond et de résonance constitutionnelle », affirme M. Larocque, soulignant un lien avec l’arrêt Beaulac.

En 1999, le juge Michel Bastarache avait accordé un nouveau procès à un francophone de Colombie-Britannique, Jean Victor Beaulac, qui avait été déclaré coupable de meurtre prémédité lors d’un procès tenu en anglais. La Cour suprême avait jugé que, même s’il parlait anglais, son droit à un procès dans la langue de son choix avait été bafoué.

« Le fait qu’une personne bilingue s’exprime dans la langue de la majorité ne reflète pas nécessairement une préférence pour cette langue », a à son tour rappelé le juge Wagner.

Éviter les « abus »

Deux juges dissidents, qui ont rejeté l’appel, estiment, comme le redoutait la Cour d’appel, que « la confiance du public envers l’administration de la justice serait minée si un appelant qui connaissait ses droits linguistiques, mais qui a attendu d’être déclaré coupable avant de soulever le manquement au paragraphe 530 (3), bénéficiait néanmoins d’un nouveau procès pour ce motif ».

S’il est « possible que des accusés puissent tirer avantage en appel, à des fins purement stratégiques, d’une violation de leurs droits linguistiques », le juge Wagner estime quant à lui que de tels « abus » peuvent être « facile[ment] » évités « par l’implantation de pratiques systématiques pour assurer que l’obligation d’information », prévue dans le Code criminel, « soit dans tous les cas respectée ».

« Il peut arriver que des accusés ne soient pas dûment informés de ce droit linguistique fondamental et de ses modalités », a rappelé la Cour suprême, ajoutant que ce cas « rappelle que les minorités linguistiques du Canada rencontrent encore trop souvent des difficultés à accéder à la justice dans la langue officielle de leur choix ».

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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